Prix Artefact de la nouvelle 94
(...)
-Vous êtes très aimable et ces teintes sont très jolies, en effet, mais je veux du noir... Enfin, du chocolat foncé... répéta la rousse en effleurant à peine du regard le teintier que Mademoiselle Dubosc lui avait mis presque de force entre les mains.
-Vous avez tort! s'obstinait la chromaticienne; votre peau est exceptionnelle et le noir est si... si commun! Un coloris fleur mettrait en valeur vos yeux et vos jolis cheveux... D'ailleurs, si vous optez pour ce bleu hortensia, je vous obtiendrai des conditions très avantageuses. Vous devriez réfléchir!...
-Je regrette mais c'est tout réfléchi, fit la jeune femme sans se départir de sa bonne humeur. Je veux du noir... Enfin, du chocolat foncé... Et puis, ajouta-t-elle en repoussant le teintier vers son interlocutrice, si vous trouvez ce coloris si joli, qui vous empêche de l'utiliser sur vous?
-Je suis allergique aux pigments synthétiques, murmura Mademoiselle Dubosc avec beaucoup de regret; sinon, vous pensez bien!... De toute façon, ma peau n'a pas la qualité de la vôtre, hélas!...
Tout en parlant, elle avait avancé sa main gantée vers le bras de sa cliente...
Elle passa un index expert et respectueusement admiratif sur la peau claire, fine et élastique, puis, pleine d'incompréhension, elle secoua la tête:
-Du noir!... Comment Dieu est-ce possible!...
La rousse se laissait examiner et tâter, silencieuse et ostensiblement impassible.
-Mais enfin! éclata brutalement Mademoiselle Dubosc; pourquoi du noir, hein? Pourquoi? (...)
-Ça ne vous regarde nullement! se renfrogna la jolie rousse en retirant son bras et en s'enfonçant dans son fauteuil. Je veux du noir et c'est mon droit! Je suis majeure, en excellente santé comme vous le prouveront les tests préliminaires obligatoires, et vous n'êtes pas habilitée à refuser ma demande, quels que soient vos états d'âme personnels.
Il y eut un moment de silence. L'androïde était entré discrètement, prêt à intervenir...
Ce ne fut pas nécessaire, car Mademoiselle Dubosc se calma aussi vite qu'elle s'était déchaînée. Elle ferma les yeux, respira profondément et remit son teintier favori en place.
-Vous avez raison et je vous prie de m'excuser, dit-elle en jetant un dernier regard d'envie sur les épaules et les jolis bras nus de sa cliente. Je suppose que vous souhaitez choisir votre nuance de "chocolat"? Il en existe des dizaines.
-J'aimerais assez, en effet!