INTERVIEW

 Un rapide panorama biographique? Et l'écriture, là dedans? Quand écrivez-vous? "Arts d'Oise"; un poète ; plaisir et peine; vers libre et prose; Contrainte; Projet;

Unez pêche abricot

Un rapide panorama biographique? Pourquoi pas: née en 1947, mariée en 1969, mère de famille en 1974, j'ai passé la majeure partie de ma vie hors de Métropole. En Tunisie, d'abord, puis au Maroc, à Tahiti, ensuite... Et me voici depuis cinq ans à la Réunion...

Ça m'a permis de voir beaucoup de choses, de me frotter à des cultures différentes... J'ai pu aussi reprendre des études, fréquenter des chorales et des groupes de théâtre amateur... Vivre, quoi!

 Et l'écriture, là dedans? Vous n'en parlez pas! Vous écrivez depuis longtemps? Oui et non... Je suis issue d'une famille modeste: mon père était gardien de la paix, et ma mère, privée d'études bien que douée ("Pas de Champi dans la famille" aurait dit ma grand-mère) fut longtemps femme au foyer avant d'entrer elle aussi dans la police. Je suis la seule d'une fratrie de quatre enfants à m'être laissé pousser jusqu'au bac. Ma mère a tenté, en vain, de convaincre les trois autre; dommage qu'ils aient été réfractaires: ils étaient plus doués que moi et avaient de plus fortes personnalités... C'est en tout cas pour ne pas être en reste avec ma mère qui obtenait de très bonnes notes à MES rédactions du primaire qui je me suis piquée au jeu de l'écriture avec un succès grandissant... Au collège, mes professeurs de français successifs ont loué ma maturité et mon imagination... Tous les poèmes que j'ai écrits à cette époque ont hélas disparu: quand on vit à 6 dans une pièce/cuisine, ça ne fait pas beaucoup de place pour chacun et il faut se limiter.

Les choses sérieuses ont donc commencé pour moi en 1990 avec l'obtention du prix "Art Phare" de la nouvelle. Mon répertoire, bien maigre, ne comprenait alors qu'une quinzaine de poèmes et de chansons, et une demi douzaine de récits composés depuis les années 75... Ce prix fut un merveilleux catalyseur, et l'écriture devint "MON" loisir. Une idée ne pouvait plus passer tranquillement dans le coin sans risquer de tomber dans mes filets...

Puis en 1993, Montreuil, m'a sélectionnée pour une nouvelle, le Ministère de la Jeunesse et des Sports de Paris, pour un court roman destiné à la jeunesse... Palaiseau est allé plus loin en m'inscrivant dans son palmarès! Ces trois exploits, je ne les ai jamais renouvelés, hélas, malgré plusieurs tentatives récentes...

Depuis, je continue d'écrire: spontanément quand les Muses ("Circonstance", "Vacance(s)"...) me font signe; par "jeu" quand on me propose un thème et que j'ai l'envie et le temps de" me pencher sur son cas"...

J'allais justement vous parler du temps. Vous travaillez: cela ne doit pas vous laisser beaucoup de loisir pour écrire! Quand écrivez-vous? On n'a aucune prise sur le temps et on est bien obligé de l'accepter comme il vient. Etant prof de français, j'ai beaucoup de corrections et jamais l'esprit libre en période scolaire: toujours à me demander, (après trente ans d'exercice!) si mon cours est bien prêt, si je n'ai rien oublié... Dans ces conditions, je souffre terriblement quand mon envie d'écriture est contrariée par des impératifs professionnels. Sans compter qu'une idée peut naître de n'importe quoi: d'une attitude ou d'une parole d'élève, d'un événement dans la cour, d'une phrase que je suis en train de lire ou que j'écoute... C'est alors le drame! Je ne peux tout de même pas dire aux élèves: stop! on arrête tout, on se tait ou on sort en récréation car le prof est en... création. Je ne peux que poursuivre mon blabla en espérant que la sournoise restera suffisamment longtemps au bord de ma mémoire pour que je puisse lui tirer les vers du nez... Ce n'est, hélas, pas toujours le cas!

Mes tâches scolaires accomplies, il me reste de toute manière une bonne partie du week end et les vacances pour écrire. Les idées piégées à droite ou à gauche m'attendent parfois sous forme d'un titre et des premières phrases du texte sur de vagues carnets ou des feuillets griffonnés à la hâte n'importe où... Quand j'arrive à retrouver les émotions qui les ont engendrées, je n'ai plus qu'à poursuivre... Sinon...

 Pourquoi ce concours des "Arts d'Oise"? Pourquoi pas? J'ai déjà participé à quelques 120 concours, et j'espère bien me présenter à beaucoup d'autres! La publicité pour celui-ci m'était déjà passée plusieurs fois sous les yeux: j'ai simplement fini par succomber à la tentation...

 Je voulais dire, pourquoi avoir fait tout le concours? Ça représentait quand même vingt quatre textes! Une sorte de défi personnel. Je me suis dit, "Joëlle, toi qui catapultes sans arrêt dans tes classes des sujets que tes élèves sont bien obligés de traiter, qu'est-ce que tu ferais dans une situation similaire?..." C'est alors que je me suis décidée: j'ai pris les sujets dans l'ordre du concours (Eh oui! dans l'ordre du concours!) et je m'y suis collée... Je ne suis pas mécontente du résultat...

 Vous n'avez donc envoyé aux Arts d'Oise que des textes faits spécialement pour ce concours!... Ce n'est pas tout à fait le cas. En fait, quatre de ces textes existaient sous une autre forme dans mes répertoires; mais j'ai dû les remanier de façon parfois très importante. J'en ai utilisé un cinquième pratiquement tel qu'il figurait dans mon fichier... Mais les 19 autres, en effet, sont des inédits tout frais, "pondus" au cours d'une quinzaine de jours de vacances et que j'ai laissé reposer avant d'y apporter les corrections finales...

 On a du mal à imaginer un poète se mettant devant sa table et fabriquant du texte à la chaîne: cette image que vous donnez de vous et de l'écriture littéraire ne vous gêne pas? Pas du tout! J'ajouterai que pour certaines formes poétiques que je ne connaissais pas, j'ai dû, avant de me mettre à la tâche, traquer l'information auprès de spécialistes du genre: Monsieur Sagittaire m'a adressé les documents qu'il envoie à tous les candidats qui lui lancent un SOS; il m'a aussi conseillé de me renseigner auprès des "ténors". C'est ainsi que, très aimablement, Monsieur Galichet m'a fait parvenir des modèles de ghazel et m'a mise "au parfum" pour la schaltinienne et les sonnets particuliers, estrambot et autres dont j'ignorais jusqu'au nom...

 Y a-t-il des textes que vous ayez créés avec plus de plaisir que d'autres? Avec plus de peine que d'autres? Absolument. D'abord, j'ai adoré "retailler une culotte neuve" aux quatre rossignols dont j'ai déjà parlé. J'ai également eu beaucoup de plaisir avec la schaltinienne et le ghazel... A l'occasion, j'en écrirai d'autres: c'est presque un jeu et j'aime les jeux.

J'ai en revanche beaucoup souffert pour la ballade. Puis-je, sans faire sauter tout le monde au plafond, avouer qu'à part celle des pendus, je n'en ai guère lu? Je crois qu'environ le tiers du temps réel passé à créer mes 19 textes nouveaux a été consacré à cette ballade. Et elle n'a même pas été primée! Mais je reconnais qu'abstraction faite de fautes dont je n'ai pas conscience car je ne maîtrise pas le genre, je n'étais pas vraiment satisfaite du rythme des vers: je sentais bien que mêler des 6/4 et des 5/5, ce n'était pas" le pied"! Il faudra que je me penche sur le cas de ce pauvre déséquilibré quand... j'aurai fini le petit frère en octosyllabes que j'ai mis en route. Je dois être en progrès car "ça" vient beaucoup plus facilement... Je pense déjà au troisième de la famille qui, de toute évidence, devrait être... (Pardon?... le stakhanovisme? Késako?...)

 Ce sont surtout vos vers libres et votre prose qui ont été remarqués; vous avez une prédilection pour ces deux genres? (Hésitation) Pas vraiment... J'écris toutes sortes de textes: récits, contes, nouvelles, poésies diverses, théâtre... A chaque idée, chaque thème, correspond une forme qui, pour moi, est (Hésitation) était évidente... Je suis en train de me rendre compte, en fait, qu'il est intéressant de travailler un thème dans n'importe quel genre... Mais je m'aperçois aussi que chaque fois que je l'ai fait jusqu'à présent, ce n'était pas librement mais sous une impulsion extérieure... Je ne suis peut-être qu'un "faiseuse" pas trop malhabile...

 On a en tout cas l'impression que la contrainte, sous quelque forme qu'elle se présente, vous réussit assez bien... Pensez-vous de façon générale que les contraintes soient fécondes? Quand elles sont acceptées de bon coeur, certainement! Je suis convaincue que la contrainte, qu'elle soit formelle ou thématique, force à aller au fond de soi-même, de sa sensibilité, de sa mémoire pour y puiser des richesses insoupçonnées... Tenez, la mémoire, pour moi, c'est une sorte de grenier dans lequel on balance, en vrac, pendant des années, tout ce qui n'a pas un intérêt immédiat: on met des choses sur des choses, entre des choses, devant et derrière des choses... Et on oublie parfois qu'elles sont là et qu'elles sont utiles ou belles... Alors supposez qu'un jour, on ait besoin d'un objet précis: est-il ou non là-haut, dans ce capharnaüm?... Si on est flemmard on abandonne, si on a du courage, on décide de fouiller... Si l'objet cherché n'est pas là, ça n'a pas grande importance, on aura, au passage, peut-être découvert autre chose d'aussi important, voire plus important encore. Il ne reste plus qu'à brosser sa trouvaille...

 A bosser, quoi! Mais oui! Tant mieux pour les génies qui peuvent composer, peindre, écrire, sculpter sans aucun effort et atteignent la perfection du premier coup... Ils ne doivent pas courir les rues... Et (Regret teinté d'envie!) je ne fais pas partie du club... Mais à mon avis, le travail, en Art, n'a rien de déshonorant: il ne fait qu'améliorer une création! Ce qui était bon devient très bon, ce qui était très bon devient... (Moue laudative et soupir) Et il permet aux néophytes et aux amateurs comme moi de présenter des petites choses plaisantes même si ça ne casse pas trois pattes à un canard...

 A l'exception du roman pour la jeunesse dont vous avez parlé tout à l'heure, avez-vous des "romans" dans votre répertoire? Des ébauches, des projets?... Je ne pense pas que je sois faite pour le roman. J'aime l'écriture brève et dense, celle qui me permet de confier le plus vite possible mes émotions au papier pour qu'elles n'aient pas le temps de s'altérer... Cela ne m'empêche pas de travailler ensuite, parfois beaucoup plus tard, des heures si c'est nécessaire, un texte même très court... Que voulez-vous, à chacun ses fruits! Vous n'auriez pas idée de demander des abricots à un pêcher?

 Il existe des pêches abricots! C'est vrai, mais ce ne sont ni des pêches, ni des abricots...

Pour retourner à la présentation